Cameroun: Sil, la lecture s’apprend à l’envers
La nouvelle approche pédagogique promeut un apprentissage global.
A l’école publique d’Olezoa, groupe III, il est environ 8h du matin et les jeunes élèves crient à tue-tête les mots que leur demande de répéter la maîtresse. Cette dernière, un bâton en main, indique chaque étape de lecture aux élèves, tandis que sur le tableau, quelques lettres écrites avec de la craie de couleur attire l’attention. La leçon du jour est tirée du livre de français, " Les nouveaux champions ", édité par Edicef. " Nous sommes encore à la lettre [d]. Le système actuel demande que l’on fasse une semaine pour apprendre une lettre aux élèves. C’est tout un autre système qui est ainsi mis sur pied. Cette nouvelle approche, on l’appelle la méthode globale. On va de la phrase au mot, et du mot à la lettre. Cette façon d’apprendre est censée permettre aux enfants de comprendre d’abord le sens du mot en le découvrant dans la phrase, et de découvrir les multiples usages que l’on peut faire d’une lettre", précise Jeanne Mevoula, maîtresse en Section d’initiation au langage (Sil) à l’école publique d’Olezoa.
Malheureusement, si pour les enseignants cette méthode vise à stimuler l’intelligence des enfants, certains enfants, ainsi que des parents, ont du mal à suivre les cours. "Ma fille est inscrite en Sil à l’école publique de Nkolndongo, groupe II. Elle a beaucoup de peine à comprendre ce que la maîtresse essaie de lui expliquer. On lui demande d’assimiler toute une phrase, ensuite d’entourer des lettres et de découvrir les mots. Elle ne comprend rien, puisque la phrase dans laquelle elle est censée reconnaître les mots, elle la récite sans vraiment savoir à quoi ça renvoie. Conséquence, elle reconnaît le mot que lui présente la maîtresse après de longs jours d’apprentissage. "
Cet avis de Jean Jacques, père d’une fille de sept ans, est partagé par bon nombre de parents qui perdent leur latin à chaque fois qu’il faut faire réviser les leçons de lecture à leurs enfants. " Pour pouvoir faire réviser ses leçons à mon garçon, j’ai dû aller rencontrer son institutric,e qui m’a expliqué les objectifs du cours. Alors qu’à l’école, on lui apprenait que la lettre [m] se lisait " me ", par exemple, il avait du mal, quand on lui disait, justement, d’écrire " me ", de le faire, il écrivait un [m] tout simplement. C’était ainsi pour toutes les lettres. Et jusqu’à présent, sa maîtresse et moi, avons encore du mal à lui faire assimiler ces notions. Souvent, je me demande si nous y parviendrons un jour", témoigne Laurence Ewoudou, parent d’élève.
A l’inspection pédagogique de l’Enseignement de base de l’arrondissement de Yaoundé II sise au quartier Ekoudou-briqueterie à Yaoundé, l’une des responsables indique en effet que "cette méthode d’apprentissage de la lecture entre dans le cadre de la nouvelle approche pédagogique mise sur pied par le ministère depuis 8 ans environ. Dans cette approche, on part du concept selon lequel l’enfant n’est pas un ignorant à qui il faut pouvoir tout apprendre. C’est plutôt une intelligence que l’on doit pouvoir aider à s’éclore. Ce n’est plus l’enseignant qui porte le cours. C’est une collaboration entre l’enfant et l’enseignant. A titre d’exemple, la méthode syllabique qui était utilisée avant ce changement partait de la lettre pour faire découvrir le mot et la phrase à l’enfant. C’est l’inverse désormais. Avant, on mâchait tout pour l’enfant. Désormais, on fait l’effort de s’impliquer et d’éveiller sa curiosité. Au fil des ans, on essaie de perfectionner ce type d’enseignement"
Bien qu’elle soit vantée ici et là, cette approche ne trouve pas l’assentiment de tous les enseignants. Mme Jeanne Mevoula, institutrice depuis 28 ans, trouve en effet que cette méthode "prend beaucoup de temps par rapport à celle pratiquée des années plus tôt. L’enfant se retrouve dans un univers où il ne se reconnaît pas forcément. Même si on privilégie les illustrations dans les pages, il est difficile, pour les enfants, de reconnaître d’emblée un mot ou une lettre dans une phrase. " C’est pourquoi, dans sa classe qui compte environ 115 élèves, les élèves qui ont de la peine à s’intégrer sont appelés, pendant les recréations, à venir s’initier à la lecture en tenant eux-mêmes le bâton, et en distinguant les syllabes dans chaque mot. " Bien que cette méthode soit déjà proscrite, nous sommes souvent contraintes d’y revenir pour permettre aux élèves de mieux assimiler les leçons car, la lecture est à la base de tout. " témoigne pour sa part Virginie Mekoumchi, institutrice vacataire à l’école publique de la briqueterie à Ekoudou.
Dorine Ekwe
Copyright © 2006 Le Quotidien Mutations. (Yaoundé). Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Publié sur le web le 4 Décembre 2006
La publication d’un document n’implique ni notre accord, ni notre désaccord sur le fond.