OBSERVATIONS ET COMMENTAIRES
I
• En premier lieu, il convient de recentrer l’État sur ses fonctions régaliennes, à savoir la police, la justice, la défense, et l’éducation nationale.
On ne sait pas si « éducation nationale » est volontairement dénué de majuscules et donc distinct de l’Education Nationale.
Par analogie avec la police, la justice et la défense, on serait tenté de penser que, dans l’esprit du candidat, l’enseignement ne peut être dispensé que par des fonctionnaires, aidés par quelques contractuels.
Pour nous, dans ce domaine, la fonction de l’Etat devrait se limiter à définir les objectifs de l’enseignement, en termes de résultats dans le savoir et le savoir-faire des élèves, et à contrôler en permanence le degré d’atteinte de ces objectifs.
• Donner une légitimité forte à ces programme en associant le Parlement à cette construction…
Le Parlement devrait fixer les objectifs en français courant, après d’amples consultations sur ce qui est nécessaire et faisable. Les programmes ne sont qu’un choix parmi les progressions possibles des enseignements.
• Au lieu de "80 % d’une classe d’âge au bac" il faut prendre pour objectif "100 % d’une classe d’âge avec un emploi".
Selon Bruno Le Maire, l’objectif de l’enseignement ne peut être l’acquisition de diplômes. En l’occurrence, l’objectif de 80 % a causé une énorme baisse du niveau du baccalauréat.
Comme le candidat inclut le lycée dans ses propositions, on peut penser que l’objectif de 100 % s’applique à 18 ans, âge de la majorité civile.
Le terme d’emploi resterait à définir. Le terme d’employabilité serait plus juste, sachant par ailleurs que beaucoup d’enseignants le voient comme la négation absolue de la culture générale.
• Le document souligne l’énormité du domaine de l’enseignement obligatoire : 13 millions d’élèves, 1 million de salariés.
Il propose que la Région devienne l’échelon du développement économique, des infrastructures, de l’éducation, de la formation, et du pilotage des grands projets d’investissements.
En effet, les problèmes créés par l’obésité de l’Education Nationale seraient en partie résolue en régionalisant ; avec en moyenne environ un million d’élèves et 80.000 salariés, l’institution régionale retrouverait une taille plus normale.
Or, Bruno Le Maire ne propose que la décentralisation de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage : création d’écoles professionnelles rattachées aux régions, pilotées en lien étroit avec les entreprises, qui renforcent l’apprentissage et l’alternance, donnent de vraies qualifications et débouchent sur l’emploi.
Certes, mais à un bon niveau, les formations générale, technologique, scientifique, débouchent aussi sur des emplois aujourd’hui mondialisés. Pourquoi ne pas les décentraliser ? La Région ne peut pas prendre en charge l’enseignement professionnel et l’apprentissage sans être concernée par l’alternance avec l’enseignement général.
A noter que le candidat propose aussi que l’enseignement artistique et culturel soit placé sous la responsabilité de la Direction régionale des affaires culturelles, chargée d’adapter aux situations locales l’application de la politique nationale.
• Dans plusieurs de ces propositions, Bruno Le Maire semble confondre la maîtrise des fondamentaux avec le socle commun.
En français, "socle commun" signifie commun à tous, c’est-à-dire à 90 % au moins des élèves. Dans ces conditions, le socle commun de connaissances fondamentales – français, maths, histoire – est nécessairement de niveau très modeste.
Quant au terme "maîtrise," il est relatif : un agrégé de lettres maîtrise notre langue, mais un enfant de 10 ans qui s’exprime correctement en français simple la maîtrise aussi, à son niveau naturel.
II
La maternelle.
• Recentrer l’école maternelle sur le repérage des lacunes de vocabulaire.
Il n’y a pas que le vocabulaire oral ; il faut aussi la pratique, à l’oral, d’une syntaxe simple mais absolument correcte.
Tout cela se construit, dès la naissance, au contact des adultes. Cette question concerne donc aussi les crèches, que Bruno Le Maire ignore, sans doute parce qu’elles ne sont pas régies par l’Education Nationale.
Le document donne, pour l’entrée en CP, une fourchette de 400 mots à 1200 mots. Le recentrage – la réforme – de la maternelle devrait permettre à l’avenir de fixer un objectif minimum plus ambitieux.
• Mettre en place un tutorat pour combler les retards existants. Mettre en place une aide personnalisée pour tous les élèves connaissant moins de 500 mots en fin de grande section.
400 ou 500 ?
Il aurait fallu préciser que ces propositions sont faites à titre transitoire, avant la réforme effective de la maternelle. Alors, les élèves "en difficulté", du fait principalement de l’Education Nationale, auront disparu, mais il restera des élèves lents, qui devront être effectivement pris en charge dans le fonctionnement courant.
• Rentrée 2017 : Expérimentation du programme en maternelle dans les territoires les plus défavorisés. Affecter les professeurs les plus performants sur les niveaux les plus stratégiques (Grande section, CP).
Pour ces propositions, comme pour beaucoup d’autres, on ne sait pas s’il s’agit en 2017 d’édicter de nouvelles directives, dont l’application effective demandera des années.
• Rendre obligatoire la Grande section de maternelle, donc obligation à partir de 5 ans.
Cette proposition sera utile dans un certain nombre de cas, si l’État est capable de faire respecter l’obligation, ce qui actuellement n’est pas le cas au primaire comme au collège.
Le primaire.
• Porter l’horaire à 26 heures par semaine dont 15 pour le français.
Il resterait 11 heures pour les maths et l’histoire. Il est entendu que ces heures ont un contenu culturel (lecture par l’enseignant, chansons etc.) et comportent un volet d’habileté manuelle (dessins géométriques ou autres, écriture etc.) .
Ailleurs dans le document, il est dit "sur les 26 heures, 20 heures d’enseignements fondamentaux, dont 15 de français". Il ne resterait donc que 5 heures pour les maths et l’histoire ?
• Priorité à la maîtrise du français, du vocabulaire et de la syntaxe, apprentissage par cœur de grands textes.
Cela revient, à juste titre selon nous, à donner la priorité à l’expression orale, sans priver les élèves avancés de grammaire, d’orthographe, et d’habileté rédactionnelle.
• Rentrée 2017 : créer écriture des programmes : les programmes de 2008 pourront être repris comme base.
Nous avons soutenu les programmes 2008, mais ils peuvent être améliorés.
Le collège.
• Supprimer le collège unique et créer le collège diversifié, permettant à chacun de choisir son parcours au fil des années.
Horaire hebdomadaire : 18 heures d’enseignement obligatoire, 8 heures d’enseignement diversifié laissé à l’initiative des établissements, 4 heures d’accompagnement.
Il subsiste une grande imprécision sur les 8 heures d’enseignement diversifié : s’agit-il des enseignements classiques d’un collège (y compris l’EPS) ? Si le choix par l’élève de son parcours se porte vers des activités pratiques professionnelles, et donc vers l’alternance, les 8 heures par semaine peuvent-elles s’y rapporter ? Ne sont-elles pas très insuffisantes ?
Rappelons que seule l’acquisition du socle commun est obligatoire, pour ceux qui ne l’auraient pas acquise à la fin du primaire ; cela ne justifie pas l’obligation de 18 heures par semaine. (Toutefois, des élèves suivant en alternance la voie professionnelle seront intéressés par l’approfondissement de leurs connaissances générales).
• Systématisation des études dirigées destinées aux devoirs.
• Mise en place du collège diversifié à partir de la rentrée 2018 pour les élèves entrant en sixième. Mise en place sur 3 ans.
Cette proposition semble assez réaliste.
Le lycée général et technologique.
• Selon la ligne générale de Bruno Le Maire "Placer le mérite au cœur de l’égalité républicaine" on s’attendrait à ce que l’entrée au lycée se fasse par une sélection au mérite, c’est-à-dire sur des examens permettant de s’assurer que les candidats ont le niveau de connaissance requis pour suivre utilement les cours. Cela n’est pas dit explicitement.
La conséquence en serait une diminution progressive mais importante du nombre d’élèves dans les lycées, cohérente avec l’idée de développer la formation professionnelle.
Comme Bruno Le Maire ne propose pas de sélection à l’entrée au lycée, il est normal qu’il propose simplement de réorganiser les épreuves d’un baccalauréat qu’il dit dévalué.
• Bruno Le Maire propose le lycée du libre choix, mais uniquement à partir de la première, donc en abandonnant toute ambition pour la seconde ; cela n’aurait aucun sens dans la mesure où la sélection à l’entrée se ferait au mérite.
A partir de la première, la scolarité s’organise autour de 3 cours obligatoires. :
– Un tronc commun : français puis philosophie en terminale, histoire–géographie et anglais
– 5 cours supplémentaires, au choix dans l’un des deux menus technologique, humanités ou sciences.
Cela nous semble trop précis pour laisser une place à l’innovation prônée par Bruno Le Maire
• Le lycée du libre choix sera mis en place sur trois ans, à partir de la rentrée 2018 pour les élèves entrant en seconde.
Cela devra se faire progressivement. Une sélection au mérite rigoureuse en 2018 conduirait à une énorme chute des effectifs des lycéens. Elle serait injuste et non républicaine à l’égard des bons élèves motivés mais sous-instruits par le système depuis leurs débuts d’écolier.
Il faudra donc élever progressivement le niveau de la sélection au fur et à mesure du redressement du primaire et du collège. Dans le meilleur des cas, cela prendra de 12 à 15 ans.
Comme l’indique Bruno Le Maire, il faudra en même temps re-équilibrer les voies générales et technologiques.
Enseignement professionnel.
• Nous ferons de l’enseignement professionnel jusqu’ici délaissé par le pouvoir central, une voie d’excellence et une priorité éducative majeure.
Il semble que le motif principal est l’emploi. Ajoutons que la voie professionnelle convient parfaitement aux capacités réelles et motivations d’un grand nombre d’élèves. L’excellence, comme la médiocrité, peuvent se trouver dans toute activité humaine, qu’elle soit vue comme très modeste ou très prestigieuse.
• Créer des "écoles professionnelles" placées au niveau des conseils régionaux et en lien avec les entreprises en remplacement des différentes structures existantes afin d’encadrer l’apprentissage, donnant de vraies qualifications et débouchant sur l’emploi.
La question de la décentralisation a été abordée plus haut.
Sauf erreur, Bruno Le Maire n’évoque pas la conséquence logique de ces mesures, la diminution massive du nombre d’élèves au lycée, et du nombre d’heures au collège, par suite de l’alternance souhaitable dès 14 ans.
L’enseignement culturel et artistique.
–… Initiation aux arts majeurs, initiation aujourd’hui si inégalitaire, et pourtant si indispensable…
– Créer des conservatoires et structures assimilées
– Une heure d’histoire des arts et une heure obligatoire de pratique d’une activité artistique, éventuellement par une inscription à une structure extérieure à l’Education Nationale.
Pourquoi au collège, et pas dans le primaire, sous des formes plus simples : chant, dessin, lecture par l’enseignant de grands textes classiques ?
Par ailleurs, on retrouve ici des formulations normatives, alors que l’initiation artistique et culturelle pourrait prendre des formes innovantes, à l’initiative d’établissements vraiment autonomes. Le bénévolat pourrait y prendre une part notable, dès lors que la collaboration s’établirait avec un chef d’établissement pleinement responsable.
III
L’accompagnement des élèves en difficulté
– Mettre en place un tutorat à l’école maternelle pour combler les retards existants.
– À l’école primaire, mettre en place un vaste programme d’études dirigées et d’accompagnement pour les élèves en difficulté.
– Au collège, 4 heures par semaine d’accompagnement
Bruno Le Maire a donc bien identifié l’existence d’élèves justifiant de mesures particulières. Mais il faut aller plus loin dans une analyse qui dépasse largement le cadre d’un quinquennat.
• Il y a, il y aura toujours, des élèves naturellement lents, capables d’apprendre, mais qui ont besoin de beaucoup plus de temps que les autres. Il faut donc les placer dans de petits groupes où chaque enseignant leur consacre le temps nécessaire. Ils ne sont "en difficulté" que parce que le système d’enseignement ne leur est pas adapté.
• Il y a, actuellement, d’innombrables élèves "en difficulté" par suite de méthodes pédagogiques aberrantes. Ils peuvent représenter 90 % des élèves d’une classe dans les cas extrêmes.
Ils disparaîtraient progressivement si l’on réformait les méthodes en commençant par la maternelle, puis le primaire, etc., ce qui demandera 15 à 20 ans, car il faudra que les enseignants évoluent.
En attendant, leur cas ne sera pas résolu avec 4 heures par semaine au collège. Il faudrait organiser l’enseignement, non par classes d’âge, mais par groupes de niveau.
• Il y aura toujours des élèves qui "décrocheront", en cours d’année, pour toutes sortes de raisons. Des réactions rapides s’imposent. Pour cela, il faut que les enseignants, attentifs à tous leurs élèves, repèrent ces décrocheurs rapidement et qu’ils puissent les "rattraper" sans tarder. Dans le primaire, les 60 heures par an attribuées aux instituteurs en 2008 convenaient parfaitement.
• Enfin, et particulièrement, il faut prendre en charge les élèves naufragés (présents au collège mais étrangers à l’enseignement) et les décrocheurs, auxquels on peut ajouter les élèves agressifs qui "pourrissent" les classes.
Pour eux, Bruno Le Maire propose une solution.
Le Service Militaire pour l’Emploi (SME)
Conçu pour aider les jeunes en voie de marginalisation : encadrement assuré par des militaires, et par des volontaires (dont service civil) et par des enseignants qualifiés recrutés pour des durées courtes.
Il y a là tous les composants d’une Agence spécialisée, adaptable à la variation de son activité dans le temps, à base de volontariat donc bénéficiant d’une forte motivation de l’encadrement, innovante, ayant pour objectif la remise des élèves dans les circuits normaux d’enseignement alterné préparant à l’emploi.
Enseignants
• La valorisation des enseignants doit passer par une augmentation salariale en contrepartie d’une augmentation du temps de cours.
Bruno Le Maire ne dit pas si cette mesure est volontaire ou imposée. Bien d’autres facteurs peuvent être pris en compte : la présence dans l’établissement hors des heures scolaires, le degré de réussite des élèves, etc.
• Les professeurs d’un même établissement sont évalués d’une manière individuelle mais aussi collective par les progrès de leurs élèves.
Dans un établissement autonome, le chef d’établissement évalue les enseignants, surtout pas selon des normes et tableaux. Il est lui-même jugé sur les progrès des élèves de son établissement.
Il pourrait fonder cette évaluation par la création d’examens (en fin d’année ou au début de l’année suivante). Mais le plus simple pour cela serait de se référer à des examens nationaux
• Aucune méthode pédagogique n’est imposée a priori. Elles doivent avoir été évaluées au préalable par le ministère.
Faire évaluer les méthodes pédagogiques par un ministère, organe politique et administratif, comporte un grand risque d’erreur et de sclérose. Cette fonction devrait être confiée à une autorité indépendante s’appuyant sur des travaux de chercheurs français et étrangers. C’est une condition de l’innovation.
• Titulariser les professeurs après une période de 5 ans.
Ménager une période d’essai avant titularisation est une proposition de bon sens, car ni l’intéressé ni d’autres ne peuvent connaître le degré d’adaptation au métier tant que l’intéressé n’en a pas une expérience dans une situation de responsabilité. Mais, peut-être suffit-il de 2 années scolaires avec des classes différentes.
Évaluation, examens.
Bruno Le Maire évite le terme d’examen, qui a un sens précis, et parle d’évaluation (attribuer une valeur), terme susceptible de beaucoup d’interprétations.
Il ignore la nécessité, dans une optique d’excellence, d’examens nationaux contrôlés, fiables, constants.
• … Livret national d’évaluation en fin de CP, de CE2 et CM2… en français et mat… le niveau sera mesuré afin d’accompagner au mieux les élèves qui ont besoin de disposer d’une base statistique fiable.
Des examens de conception nationale, d’exécution locale, mais dont la passation et la notation seraient l’objet d’un contrôle national de qualité, répondraient précisément à cette formulation.
• Pour les tests d’évaluation en primaire : publication des résultats par établissement dans la logique de transparence des données.
Sauf erreur, la même proposition n’est pas faite pour le secondaire.
L’open data est une source de progrès : encore faut-il que les données soient certifiées.
• Redonner sa valeur au baccalauréat … en intégrant une partie de contrôle continu.
Ce contrôle continu est l’affaire de chaque enseignant. Mais son expression écrite est évidemment subjective
Peut-être Bruno Le Maire pense-t-il que ce contrôle continu peut rendre l’examen plus juste en prenant en compte les conditions et circonstances personnelles des candidats. Ce serait justifié pendant la longue période qui s’écoulerait avant que tous les élèves défavorisés au départ dans la vie aient effectué une scolarité complète dans des conditions optimales d’efficacité.
L’autonomie des établissements.
• Dans le secteur public, certaines délégations sont proposées ; certaines sont essentielles :
– renforcement des prérogatives et des responsabilités des chefs d’établissement qui deviennent des évaluateurs et recruteurs
– renforcer l’autonomie des établissements en matière de recrutement, évaluations et contractualisation
– décentraliser le dialogue social … et mettre fin à la cogestion des syndicats
Sauf erreur, pas de proposition concernant le rôle du chef d’établissement dans la définition de la ligne pédagogique de son équipe.
• Rien au sujet, non pas de l’autonomie, mais de la liberté réelle du secteur privé et de l’égalité de traitement avec le secteur public à conditions égales (financement).
Pourtant, à propos de l’enseignement professionnel, Brune Le Maire propose un marché de la formation ouvert et concurrentiel mais qui garantisse des "signaux qualité"