Une autre vision du rôle et de la formation des maîtres
Dans sa classe, le maître ou la maîtresse incite à regarder et à écouter, en un mot à OBSERVER.
Le Petit, lui, découvre. Il aime la découverte. Il est curieux, en général, de connaître le monde qu’il croit que les grands maîtrisent. Il veut être un Grand. Il est disponible, ouvert, offert même, car il fait une confiance totale à celui qui est censé savoir. Son admiration, sa confiance et son amour se confondent. « C’est la maîtresse qui l’a dit, alors… ! »
Plus il est jeune, plus il est simple et confiant, plus est considérable la responsabilité de l’adulte auquel, sans le savoir, il confie les instruments de son intelligence future. Cela pourrait être écrasant mais nous savons que, sur terre, les plus grandes œuvres ne s’accomplissent que par la fidélité quotidienne aux actes simples.
Observons-les, eux, qui n’ont pas encore peur de leurs échecs, qui n’ont pas encore renoncé et qui veulent faire ce que dira le maître. Ils ont, certes, chacun leur personnalité mais tous, pratiquement tous – il faut malheureusement mettre à part les enfants, qui trop blessés en famille, ne peuvent plus s’ouvrir à l’étranger qu’est le maître – tous les autres ont faim et soif de devenir grands ! « Maintenant, je suis un grand, je vais à la grande école ! » Petit enfant qui raisonne juste en associant son progrès à l’instrument de son progrès.
C’est à l’école qu’il s’attend légitimement à recevoir ce qui lui donnera sa place parmi les grands.
Le maître est d’abord celui qui détient les secrets de sa croissance d’homme potentiellement libre, donc de son bonheur.
LE DEVELOPPEMENT DE L’ENFANT
Parce que l’enfant apprend à OBSERVER , il développe ses sens les plus nobles : l’ouïe et la vue, qui toute sa vie devront lui fournir les informations les plus vraies possibles sur l’univers et sur les autres.
Parce qu’il apprend à RETENIR le texte des leçons, il développe sa mémoire qui doit être fidèle et performante pour alimenter son jugement.
Parce qu’il apprend à LIRE et à ECRIRE, il engrange tous les moyens de s’exprimer et de communiquer, indispensables à l’échange avec autrui sans lequel on ne peut développer ses qualités propres.
Parce qu’il apprend à COMPTER, il apprend à raisonner, il fonde ses facultés critiques, jusque dans l’organisation physiologique de son cerveau. Là sont les premières défenses de sa véritable liberté.
A l’école primaire tout est observation, mémorisation, communication, réflexion logique : tout ce qui fonde la pensée libre de l’homme. Tout ce qui le rend autonome et intelligent de la vie.
Là est l’essentiel, mais ces exercices, accomplis avec une volonté enthousiaste par le jeune enfant sont, en eux-mêmes, et quels qu’ils soient, comme les rayons du soleil sur les plus belles fleurs de toute personnalité : le goût de la découverte – la volonté de conquête – l’habitude sereine de l’effort.
L’enfant apprend, grâce au bon maître, que le travail est source de joie.
LE METIER D’INSTITUTEUR
Ce métier magnifique, – beau par sa grandeur – est le seul dans l’Enseignement qui ne puisse tricher avec l’Education. Il n’est pas né de l’amour tout intellectuel d’une matière, dans la transmission de laquelle on espère trouver de la joie, voire se couvrir de gloire. Il ne peut qu’être issu de l’amour des enfants.
Les enfants qui sont confiés à l’instituteur sont à l’âge où toute leur intelligence – y compris dans la construction physiologique du cerveau – s’ouvre et s’offre à ses bons ou mauvais traitements. Les parents le chargent , trop souvent sans le mesurer, d’être le découvreur, le révélateur et le cultivateur des aptitudes cérébrales de l’enfant, et par-là même, de sa conscience morale.
L’intellect n’est qu’un serviteur, en effet, du véritable trésor dont il est le gardien : la compétence du maître d’école accouche l’intelligence de l’enfant, sa liberté de petit être humain, à proportion de laquelle toute sa vie il développera son humanité.
Le passage à l’école structure ou déstructure, enrichit ou appauvrit, élève ou avilit. Ce que la nature a rendu indispensable à un certain âge de l’évolution de l’homme est perdu irrémédiablement si l’école n’en assure pas à temps l’exercice.
Après on ne peut que rapiécer ! A l’école, l’enfant apprend à grandir ou à se décourager de le faire, c’est la vie même qui lui est apprise. Bien peu nombreux sont ceux que l’instituteur sert si grandement, et qui en sont conscients : il révèle son âme à la créature.
A la sortie d’un Primaire structurant grâce à des méthodes analytiques d’apprentissage, qui seules assurent une construction logique et ordonnée des circuits cérébraux, l’enfant doit être introduit dans le monde de la CULTURE pour s’y passionner. Il découvrira que le travail a d’abord pour mission de révéler l’homme à lui-même et alors, naturellement, le plus souvent, il apprendra à l’aimer.
UN EQUILIBRE A TROUVER
Si l’éveil à la culture a été assuré à l’école, le collège peut prendre le relais sans difficultés. La plupart des enfants ont envie de lire entre 4 et 5 ans, ce serait le moment d’exploiter l’énergie de cette appétence en leur permettant l’entrée en classe préparatoire. L’utilisation de méthodes analytiques et gestuelles d’apprentissage de la lecture et la mise en place et l’exercice des circuits de la mémoire et de l’analyse par l’arithmétique, assureraient l’entrée en 6è, à 10 ans, d’enfants sans troubles scolaires
Ainsi, entre 9 et 11 ans, disposant d’une curiosité incomparable et d’une grande soif de savoir, quelle que soit la forme de leur intelligence, ils seraient disponibles à l’ouverture d’esprit la plus vaste que doit viser le collège.
Le vocabulaire des élèves de 1er cycle est alors suffisant pour leur permettre d’accéder à une culture livresque plus approfondie. Cependant, la culture à cet âge, s’acquiert autant par les yeux, les oreilles et les mains… : observation, création à partir d’une recomposition synthétique des éléments reconnus. Cette façon de découvrir le réel est permise à tous, sans exception, puisqu’elle est celle dont usent aussi bien les artisans que les artistes ou les intellectuels respectueux de la nature des choses. Elle fonde le sens des mots dont cet âge doit s’enrichir en… surabondance ! Mais, si elle ne doit jamais négliger l’apprentissage livresque, elle ne doit pas s’y limiter : la recherche et l’observation du réel accomplies avec le maître nourrissent la connaissances tout en exerçant des méthodes d’analyse et de synthèse, d’observation du réel et de logique inductive ou déductive. C’est à partir de cette expérience que peut être développée la réflexion, la pensée libre. Rabelais dans sa « pédagogie » décrit à merveille la manière en question. ( Gargantua, chapitre XXIII)
Au collège l’enfant EXERCE les acquis du Primaire, à savoir :
– lecture – écriture – LOGIQUE : par la grammaire, le latin, le calcul et toutes les disciplines scientifiques
– mémoire analytique : leçons apprises par cœur, théorèmes, grammaire et langues et pas seulement poésie,
– observation : grammaire – dessin, géométrie et toutes les disciplines de culture générale
– sensibilité : littérature, musique, peinture et histoire de l’art et des artistes.
Toutes ces disciplines doivent :
– continuer de s’ exercer donc se développer ;
– ouvrir à la découverte de soi-même ;
– enrichir le goût de la découverte d’un univers à la fois « un » par ses lois et riche d’une infinie variété dans ses formes.
Comme en Primaire, cette pédagogie suppose une méthodologie rigoureuse afin de doser les programmes et de les rendre cohérents. Il faut éviter la boulimie désordonnée imposée aux élèves et les risques de « vanités » théoriciennes des enseignants.
Comme pour toute nourriture, c’est l’efficacité avec laquelle la « science » sert l’enrichissement de la pensée qu’il faut viser en s’adaptant aux besoins de chacun. Ce souci suffirait à permettre à beaucoup d’enfants en difficultés – parfois même parmi ceux envoyés sans discernement dans les IME, CPPN, etc – de participer à la plupart des activités d’éveil de leurs camarades de 6è ou 5è, ce qui, en outre, aurait le mérite d’accélérer beaucoup leur épanouissement.
Marie Gourville