Aspects doctrinaux de l’évaluation

 »Le scientisme, c’est aussi évaluer plutôt que transmettre : on pense que le seul fait d’utiliser des instruments statistiques est scientifique en soi. Les réformes en cours portent la marque d’un principe qui, de la maternelle à l’université, impose les mêmes démarches. Il s’agit d’élaborer un projet, de l’évaluer, d’être évalué. Il est alors légitime de se demander sur quoi porte réellement l’évaluation, et quelles sont les aptitudes requises pour évaluer et s’auto-evaluer. Quel jugement objectif peut-on élaborer si le jeu est faussé au départ ? Que mesure-t-on ? L’ambiguïté des situations pédagogiques auxquelles sont affrontés est telle qu’elle perturbe leurs capacités d’opérer des discriminations, d’acquérir des connaissances et des compétences solides.
L’absence de transmission explicite, ou le camouflage de la transmission dans des situations où l’enfant croit trouver tout seul, engendrent de constables artificiels.
L’évaluation a connu une promotion récente, grâce aux ordinateurs sans lesquels les classifications à l’échelle nationale seraient impossibles. L’évaluation procède, elle aussi, d’une volonté de rendre plus scientifiques, en les radicalisant, certaines conceptions de l’Education Nouvelle. Dans l’Education Nouvelle, le maître se transforme en maître d’observation, afin de mieux connaître les enfants. On est d’abord passé de l’observation artisanale à l’observation scientifique. Cela a coïncidé avec la médicalisation du problème, et avec l’établissement du dossier scolaire maintenu secret, c’est-à-dire non communiqué aux parents, et destiné à suivre les enfants pendant toute leur scolarité. Actuellement,, l’évaluation porte principalement sur les établissements, l’enfant n’est plus considéré en tant que personne mais en tant qu’unité, qui s’ajoute à d’autres dans l’évaluation de l’établissement.
L’enfant en tant que personne peut à présent être inclus dans des comparaisons où il ne figure plus que comme l’un des facteurs des estimations.
L’expérience de l’école maternelle montre qu’il vaut mieux ne pas comparer les performances des enfants. Le risque est grand de prendre les résultats comme des prédictions, permettant d’anticiper les possibilités ultérieures des enfants. Or ce sont des âges de grandes transformations, qui rendent les prédictions pour le moins hypothétiques. C’est pourquoi d’ailleurs, la réorganisation de l’Ecole qui fait de l’école maternelle le lieu essentiel de l’évaluation des enfants, risque d’avoir des effets particulièrement néfastes pour beaucoup d’entre eux. On veut prédire l’histoire scolaire d’une personne à partir des premières réactions du bambin à l’école maternelle.
Plus on limite la transmission, plus on favorise une certaine forme d’observation et de manipulation psychologique des enfants par les enseignants. Le projet d’agir sur les enfants par les méthodes de la publicité (appelée alors réclame), c’est-à-dire de la suggestion et de l’imprégnation, avait été formulé explicitement par des auteurs comme E. Claparède. Celui de profiter du temps ainsi libéré pour observer les enfants avait été formulé par R. Cousinet. Tous deux étaient des théoriciens de l’Education Nouvelle. »

Extrait de  »La destruction de l’enseignement élémentaire et ses penseurs »

L.LURÇAT – F.X. De Guibert 1998

« Dès la fin de l’année scolaire 1992, les instituteurs ont été conduits à répondre à 160 questions pour chaque élève. Parmi ces questions, les premières concernaient les attitudes de l’enfant c’est-à-dire sa psychologie et son insertion sociale, évaluée selon des critères socialistes et mondialistes. Les nouvelles directives pour le primaire mettent lourdement l’accent sur la socialisation des enfants. L’accent est mis sur les enseignements non cognitifs et multidimensionnels". (Rappelons que ces enseignements se font au détriment de la formation intellectuelle).
Appliquant la politique préconisée par la Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous, le ministère de l’éducation nationale a également mis en place l’évaluation des élèves en classe de seconde. (Bulletin officiel du ministère de l’éducation nationale du 23 janvier 1992)… Le traitement des données issues de l’évaluation sera effectuée par les enseignants eux-mêmes : il est prévu de développer à cet effet un logiciel mis à la disposition de chaque lycée qui permettra de construire des « profils » d’élèves, des « profils » de classe, de constituer des groupes d’élèves de profils proches, enfin, pour l’établissement, de disposer du profil de l’ensemble des divisions de second »

Extraits de  »Machiavel pédagogue ou le ministère de la réforme psychologique »

Pascal Bernardin – Ed. N.D.des grâces 1995

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