Présidentielle 2017 : Primaire 2016 – Alain JUPPE

Sur son site de campagne, Alain Juppé formule 20 propositions, qui se trouvaient déjà dans son ouvrage d’août 2015 "Mes chemins pour l’école".Nous reproduisons ici le chapitre "Principales orientations" du livre. Les 20 propositions de 2016 sont portées en gras.
Le texte de 2015 présente l’intégralité des 20 propositions officielles de 2016, qu’on peut considérer comme les engagements du candidat. Les 20 propositions sont lapidaires et parfois ambiguës ; et les compléments de 2015 permettent de mieux les comprendre.

Principales orientations

Deux priorités nationales :

Assurer à tous les jeunes français une maitrise complète de la langue française et du socle commun des savoirs fondamentaux à la fin du collège 
Assurer à tous une véritable qualification à la sortie du système éducatif.

Ces deux priorités posent d’emblée la question des échéances des propositions.

Il nous semble clair, et d’ailleurs justifié, que ces deux priorités excèdent largement le cadre du quinquennat 2017 – 2022.
Quoi que signifient les expressions de "maîtrise complète de la langue française" et de "socle commun", les élèves qui termineront leurs études au collège en 2022 seront entrés en CM2 en 2017. Quoi qu’on fasse pour la maternelle et le primaire durant le quinquennat, ce sera trop tard pour eux : 40 % seront en grande difficulté en 2017 (15 % quasiment illettrés, 25 % ayant des "acquis fragiles", c’est-à-dire des acquis non acquis), avec peu de chances d’amélioration par la suite.

Même considération pour la qualification professionnelle.

Un objectif général 

Faire remonter la France de 10 places dans chacun des volets du classement international PISA

PISA étant centré sur les élèves de 15 ans, pour les raisons précédentes, nous ne croyons pas à un gain de 10 places en 2022, sauf transformation profonde et immédiate du collège et de ses enseignants, ce qui n’est manifestement pas prévu par Alain Juppé, ennemi des ruptures.
Cet objectif de gain de 10 places, sans échéance, n’est pas un véritable objectif.

Cinq axes majeurs pour y parvenir

A budget constant pour le ministère de l’Education Nationale par redéploiement des moyens

I – ACCROITRE SUBSTANTIELLEMENT L’EFFORT SUR LES CLASSES DE MATERNELLES ET DE CP

Le retard accumulé à la fin de la maternelle n’est jamais rattrapé dans les classes élémentaires et s’accentue au collège. Il faut donc intervenir dès la crèche.

L’importance attachée aux crèches, maternelles et CP est un point très positif et d’ailleurs prioritaire puisque toute la suite de la scolarité en dépend. 

1 – Recruter dans les crèches des animateurs linguistiques qualifiés pour offrir à tous les enfants plusieurs heures par semaine d’écoute et de conversation dans une langue soutenue ; combler ainsi les retards de vocabulaire.

2 – Concentrer les moyens sur les classes de maternelle et de CP, pour réduire massivement le nombre d’élèves par classe et rejoindre le taux d’encadrement des pays les mieux classés de l’OCDE. Pour les élèves les plus en difficulté, créer de petits groupes spécifiques de quatre ou cinq notamment. Ces nouveaux moyens seraient issus de la rationalisation du système dans son ensemble, notamment par un redéploiement des moyens du second degré.

3 – Enrichir la formation des enseignants du premier degré par une meilleure connaissance des spécificités de la maternelle, en particulier les mécanismes d’apprentissage linguistique.
Les spécificités de la maternelle doivent être étendues au CP, avec une spécialisation reconnue aux enseignants bien formés et efficaces ; les considérations cognitives s’étendent aussi aux crèches.
A notre sens, la priorité absolue est de créer un cycle de formation spécifique amenant à une qualification reconnue. À cette création seraient associés les éducateurs, maîtres et maîtresses les plus efficaces.
Cela prendra au moins un an. Ensuite, ce cycle devra être ouvert aux nouveaux recrutés et aux enseignants en fonction qui doivent changer leur façon de faire.

4 – Approfondir l’apprentissage d’une première langue étrangère, avec pour objectif l’amélioration significative du niveau en fin de troisième. (1) L’apprentissage d’une deuxième langue vivante serait conditionné à un début de maîtrise de la première.
Cette proposition laisse supposer qu’Alain Juppé est favorable au début de l’initiation à une langue étrangère dès la maternelle et le CP. On sait en effet que les petits-enfants ont une capacité à se familiariser avec une langue étrangère (voir L’enfant aux deux langues).
Cela pourrait se faire pour les petits enfants qui montrent une grande facilité à l’oral.
Cet apprentissage précoce serait uniquement oral ; il suppose que les maîtres et maîtresses prononcent correctement la langue en question.

Enfin, en raison de l’énorme travail que représente la réforme des crèches, maternelles et CP, cette proposition n’est certainement pas prioritaire.

 II – REVALORISER LE STATUT D’ENSEIGNANT

C’est une exigence pour attirer les meilleurs et améliorer l’efficacité du système éducatif. Les expériences d’autres pays le montrent.

5 – Procéder à un rattrapage des rémunérations des enseignants par rapport à la moyenne de ceux de l’OCDE, en commençant par le premier degré, où les salaires seraient augmentés de 10 % dès la première année du mandat.
Il y a certainement mieux à faire qu’un rattrapage général dont 10 % d’augmentation pour tous en 2017. 
En attendant la mise en place d’examens nationaux permettant d’apprécier la réussite des enseignants d’après les progrès de leurs élèves durant une année scolaire, d’autres pistes peuvent être ouvertes des 2017, par exemple :

– rémunérer les temps de présence dans l’établissement hors du temps scolaire strict
– majorer fortement la rémunération d’enseignants expérimentés et efficaces qui accepteraient pour une durée limitée d’enseigner dans les zones prioritaires
– etc.

 6 – Améliorer la formation initiale des enseignants, par une place importante donnée à la préparation de la gestion de classe, une diffusion des résultats d’évaluations scientifiques et l’accroissement du rôle des enseignants tuteurs. Sans renoncer à l’excellence dans la maîtrise des contenus des matières, accroître la connaissance par les enseignants des processus d’apprentissage grâce, en particulier, à une meilleure connaissance des neurosciences cognitives.


7 – Mettre en place une véritable formation continue des enseignants, notamment en diffusant plus largement les contenus par internet et en permettant aux enseignants d’en valider les acquis. Le rôle des professeurs tuteurs serait élargi. Une salle dédiée à la formation des enseignants serait mise en place dans chaque établissement.
Il ne s’agit pas simplement d’améliorer la formation initiale et continue, il faut créer de toutes pièces un cycle de formation professionnelle, l’enseignement disciplinaire étant, semble-t-il, du domaine de l’Université.

 Quant à la formation continue, il faut distinguer deux périodes :

– le perfectionnement des enseignants ayant bénéficié, à partir de 2018, d’un cycle entièrement rénové en formation initiale ; ce besoin ne se manifestera pas avant plusieurs années.
– La mise à niveau des enseignants en fonction : ce cycle sera comparable au nouveau cycle de la formation initiale.

8 – Confier aux enseignants de nouvelles responsabilités et opportunités d’affectation et de carrière dans le cadre d’établissements plus autonomes.

Première constatation d’une grave lacune des propositions d’Alain Juppé : l’absence de toute mention du secteur privé. On ne sait pas si c’est volontaire, ou si le candidat pense qu’en toutes choses, le secteur privé doit fonctionner comme le secteur public. Le terme d’autonomie est clair s’agissant de l’Education Nationale. Le corollaire dans le privé serait simplement… liberté.
Une formation libre existe pour les enseignants ; pour nous, elle est aussi légitime que la formation "publique"

III – DONNER DE NOUVELLES RESPONSABILITES AUX EQUIPES PEDAGOGIQUES.

Les équipes pédagogiques sont la clé de la réussite des élèves. Il est donc proposé de leur donner une liberté et des responsabilités nouvelles à cette fin, dans le cadre d’établissements plus autonomes.

9 – Confier à un Conseil éducatif d’établissement, travaillant en équipe sous la direction d’un directeur principal, la direction de l’établissement et la gestion de ses moyens. Ce Conseil se composera d’enseignants responsables ou coordinateurs élus par leurs pairs, en nombre variable selon la taille de l’établissement. Il pourrait y avoir notamment un coordinateur pédagogique, un responsable de l’orientation, un responsable des relations extérieures et des partenariats, un responsable des relations avec les parents, un coordinateur par discipline ou groupe de disciplines, un responsable du suivi individuel et de  la remédiation … Le Directeur serait choisi par le Conseil éducatif et le Conseil d’administration parmi plusieurs candidats proposés par le recteur, qui nommerait celui retenu. Un contrat d’objectifs et de moyens lierait les établissements et le rectorat.

Encore une proposition propre au secteur public.
Elle consiste en fait à limiter fortement la liberté d’action du Directeur d’établissement. La création d’un Comité "éducatif" (?) en plus du Conseil d’administration, et les idées de création d’enseignants "coordinateurs" sont propres à limiter très fortement l’innovation, c’est-à-dire la prise de risque, par un Directeur pleinement responsable.
Par contre, l’équipe pédagogique n’est pas définie dans ce texte.
Pour nous, il est clair que l’équipe pédagogique ne peut exister sans un chef, et que ce chef doit être le Directeur d’établissement autonome. Il est clair aussi que la coordination est une mission majeure d’un chef d’établissement autonome.

10 – Permettre aux écoles primaires qui le souhaitent de se regrouper au sein d’un même établissement avec une équipe de direction unique, ou de créer une « école du socle », regroupant un collège et ses écoles de rattachement.


11 – Permettre aux collèges et aux lycées qui le souhaitent de gérer la totalité de leur dotation horaire globale pour mieux répondre aux besoins des élèves. (2)

1 – Dotation horaire : pourquoi exclure le primaire ?

2 – Regroupements : cette proposition ne concerne évidemment que le secteur public ; elle est étonnante, car on imagine mal des établissements publics décider d’un regroupement sans autorisation de la Direction de l’Education Nationale.

3 – "École du socle". Expression inventée pour justifier encore plus l’abaissement du niveau des élèves. Alain Juppé emploie les mots "socle" et "compétences" qui, selon nous, ont été choisis pour détourner les esprits de la transmission des savoirs à tous, selon leurs capacités et motivations. 
Curieusement, Alain Juppé ne parle pas du socle commun, c’est-à-dire accessible à tous (à au moins 90 % des élèves), ce qui implique un faible niveau de savoir). Certes aujourd’hui l’Education Nationale n’instruit pas convenablement 90 % d’une classe d’âge. 
Ecole du socle : pour l’avenir, pourquoi qualifier l’enseignement primaire et secondaire par les savoirs non acquis par seulement 10 % des élèves ?

 IV – UNE EVALUATION INDEPENDANTE, REGULIERE ET PERFORMANTE.

L’évaluation est l’outil majeur pour repérer les difficultés, prévenir le décrochage et améliorer la performance du système éducatif. Elle est aussi l’indispensable corollaire de la responsabilisation des équipes pédagogiques.

12 – Prévenir le décrochage dès la maternelle et le début du primaire : une évaluation constante des connaissances et des compétences fondamentales des enfants et, au moindre signe de décrochage, la mise en place de modules d’enseignement en très petits groupes, voire individuels, pour combler les retards et consolider les acquis.

13 – Fournir, pendant tout le déroulement de la scolarité, des outils d’évaluation performants à l’ensemble des enseignants, pour faciliter le repérage des difficultés et permettre aux équipes d’organiser des sessions intensives, au besoin dans une seule matière, grâce à la dotation globale de moyens qui leur seraient confiée. Un groupe spécifique, "commando", pourrait intervenir dès les premiers signes de décrochage (absences injustifiées, évaluations en baisse…) avec des méthodes adaptées, en y associant les parents d’élèves concernés.

14 – Organiser, six mois avant la fin de chaque cycle, une évaluation complète pour apprécier les progrès des élèves et identifier leurs lacunes. Offrir à ceux qui en ont besoins des séances personnalisées, intensives, d’une ou plusieurs semaines, pour atteindre le niveau attendu.

Le choix par le candidat du mot "évaluation" a pour conséquence une grande confusion dans les propositions.
En effet, le terme "évaluer" a deux sens différents :
       –   d’une part, attribuer une valeur (prix) à une personne, un animal ou une chose 
       –  d’autre part, énoncer approximativement une mesure ou un repère qui pourrait être connu précisément par un examen normalisé.

 Cette ambiguïté se retrouve dans les propositions, entre : 
      – d’une part les évaluations faites en continu et pour tous ses élèves, par un enseignant expérimenté
      – d’autre part, des examens nationaux, donc normalisés.

 Un enseignant compétent n’a pas besoin d’un processus spécial pour repérer les difficultés de ses élèves ; il ne peut pas, par définition, prévenir les décrochages, mais il doit y remédier 

(les difficultés d’ordre personnel, pathologies mentales ou physiques, ne sont pas du domaine des enseignants ; elles sont l’objet d’examens par des spécialistes)

 Les propositions 11 – 12 – 13 procèdent d’une confusion dans les étapes. En effet elles traitent du repérage et du traitement de difficultés qui ont pour cause les grands défauts de l’enseignement actuel. 
Certes ces difficultés subsisteront pendant plusieurs années, mais elles disparaîtront lorsque l’enseignement aura été rénové, et ne reposeront plus sur l’idée fausse que tous les élèves du même âge ont les mêmes aptitudes et les mêmes savoirs.

Les propositions 12. – 13 – 14 sont fortement normatives, en contradiction à notre sens avec le principe d’autonomie des établissements.

15 – Créer une agence nationale de l’évaluation, de l’innovation et de la performance scolaire, indépendante, chargée notamment de repérer systématiquement les bonnes pratiques en France et à l’étranger, d’en apprécier les valeurs scientifiques, et de favoriser des méthodes efficaces d’évaluation des élèves, des établissements et de leurs équipes. Elle mènerait une évaluation indépendante de la progression des établissements, et encouragerait leur propre évaluation, clé de la performance sur le long terme.

Cette proposition est très intéressante, sous les réserves suivantes :
– que le mot "examen" soit substitué à "évaluation" : si des évaluations indépendantes sont menées de la même façon dans tous les établissements, elles sont normalisées : ce sont des examens
– que le terme d’agence "indépendante" signifie l’indépendance à l’égard de l’Education Nationale , et que l’agence en question œuvre identiquement dans le secteur public et dans le secteur privé (pourquoi ne pas employer la dénomination courante : "Autorité indépendante" ?)

 Il est dit que l’agence "encourage leur propre évaluation par les établissements". On ne voit pas pourquoi les établissements, connaissant les résultats nationaux, auraient besoin de leur propre évaluation. Il faut peut-être comprendre que l’agence encourage les établissements à porter remède à leurs faiblesses et insuffisances ; en ce sens l’agence jouerait un rôle moteur dans une politique de qualité.

V – L’ORIENTATION ET L’APPRENTISSAGE AU SERVICE DE LA QUALIFICATION ET DE L’EMPLOI.

Le chômage français touche particulièrement les personnes dépourvues de toute qualification. Le retour de la croissance ne sera pas suffisant pour réduire durablement le nombre de chômeurs et de bénéficiaires du RSA. C’est en donnant une qualification adaptée à 100 % des jeunes français qu’on réduira efficacement leur taux de chômage.

Une qualification adaptée pour 100 % des jeunes Français est une belle déclaration d’intention, un vœu. Il est dommage qu’Alain Juppé ne dise pas comment et à quelle vitesse se fera cette évolution, et ce qu’il en sera entre 2017 et 2022.
Il passe sous silence le fait que, pour atteindre cet état idéal, il faudra ouvrir largement les initiations techniques dans le primaire, les apprentissages alternés au collège, et donc limiter l’accès à l’enseignement général aux seuls élèves capables d’en tirer profit. C’est une grave lacune.

16 – Améliorer le suivi et l’orientation des élèves. Instaurer un rendez-vous semestriel obligatoire entre les parents et l’équipe pédagogique pour faire le point sur l’évolution des résultats, prévenir un décrochage éventuel et assurer une information régulière sur les orientations envisageables. Rendre plus fréquente la présentation des métiers au sein des établissements, dès le collège, par des personnes exerçant ces professions. Rétablir et rendre accessible à tous l’option de découverte professionnelle.

Une fois de plus, cette proposition a un caractère normatif ("rendre obligatoire"), limité au secteur public, et en contradiction avec le principe d’autonomie.

17 – Confier l’ensemble de la formation professionnelle (lycées professionnels) et de l’apprentissage aux régions.

18 – Rapprocher la formation professionnelle et l’apprentissage, notamment entre les centres de formation professionnelle (CFA) et les lycées professionnels.

19 – Mieux adapter les formations aux besoins des entreprises et réduire le nombre de CAP et de baccalauréats professionnels. (3)


20 – Réduire massivement le coût de l’apprentissage pour les entreprises et simplifier le contrat d’apprentissage.

 Les propositions 16 et 17 sont intéressantes. La proposition 19 serait, dans notre esprit, du domaine de l’agence indépendante qui agréerait les examens.

 Proposition 20 : Un apprentissage sérieux devrait être, comme tous les autres enseignements, sanctionné par des examens attribuant des qualifications. Cela doit figurer dans le contrat d’apprentissage.
Un apprentissage sérieux est une lourde charge pour une entreprise, et il est normal qu’il soit financé par l’État au même titre que les autres enseignements. Certes l’entreprise y trouve un avantage quant au recrutement. Mais toute entreprise trouve un avantage du fait des études suivies par les collaborateurs recrutés.

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(1)  Objectif correspondant au niveau A2, voire B1, du code européen commun de référence pour les langues.
(2) La dotation horaire globale (DHG) correspond à l’ensemble des heures de cours de toutes les matières dispensées dans un collège ou un lycée. Aujourd’hui, l ses établissements ne sont pas libres de répartir les heurs de mathématiques ou de français, par exemple, en fonction des besoins de leurs élèves.
 (3) Il existe à ce jour 215 spécialités de CAP, 50 spécialités de BEP, et 63 spécialités de baccalauréat.

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