À quand une vraie réhabilitation de l’enseignement primaire ?

Texte intégral d’un article du professeur Lucien ISRAËL partiellement reproduit dans LE FIGARO du 1er mars 2007. 

Le profeseur ISRAËL est membre du Comité d’Honneur de notre association

Les difficultés que rencontre l’institution scolaire et, plus généralement, l’évolution des comportements des jeunes ont fait couler beaucoup d’encre ces dernières années. Étonnamment, en dépit de l’importance des enjeux, ce sujet n’a pas vraiment été abordé jusqu’à maintenant par les candidats à l’élection présidentielle. L’ampleur de la tâche en effraie sans doute plus d’un ! Pour l’aborder, voyons sereinement les faits, les conséquences et les causes. 
Je commencerai par le constat suivant : en décembre 2001, l’OCDE a mené une étude dans trente-deux pays sur la capacité de lecture et de compréhension à l’entrée en 6ème. Pour la compréhension de l’écrit, la France était au 14ème rang. Et ce n’était guère plus brillant dans les domaines techniques et scientifiques, domaines dans lesquels les pays anglo-saxons nous devancent largement.
Un niveau médiocre ou faible en lecture, écriture, grammaire, etc., compromet l’avenir des jeunes et de la société : il existe quelques dizaines de milliers de mots dans une langue qui servent à comprendre, à s’exprimer et à s’imprégner d’une culture. La richesse du vocabulaire et l’usage de la grammaire sont les principaux moyens d’acquérir le sentiment d’appartenance à un groupe culturel. Celui-ci est en effet basé sur son histoire mais aussi sur sa langue. Et cela concerne tous les enfants, et pas seulement les enfants d’immigrés.
Par ailleurs, nous ne cessons de nous parler à nous-mêmes. Un vocabulaire restreint, des significations imprécises, empêchent de se parler à soi-même : non seulement on ne lit pas, non seulement on ne communique pas correctement avec autrui, mais on ne communique pas non plus avec soi-même, donc on ne se connaît pas. Si on n’a pas de subjectivité soi-même, on n’a pas la notion de l’existence d’une subjectivité chez autrui. Par conséquent, en cas de désaccord avec autrui, on ne discute pas : on tape dessus ! 
La neurophysiologie est à cet égard très éclairante : elle permet de faire le lien entre les faits constatés plus hauts et leurs causes : le cerveau gauche est celui de l’analyse, en particulier de l’analyse des mots (cela est valable pour les droitiers et pour un certain nombre de gauchers. Pour les autres, c’est l’hémisphère droit qui remplit ce rôle). L’hémisphère gauche est celui de l’analyse des idées, de leur perception, de leur enregistrement, de leur comparaison à d’autres, de leur critique ; celui, aussi, de la mémorisation. L’hémisphère droit, au contraire, est celui de l’émotion – positive ou négative -, de la perception non analysable, du sentiment. Les enfants, par exemple, perçoivent par leur cerveau droit ce qu’ils regardent à la télévision. S’ils ont un cerveau gauche « en bon état », ils sont capables de comprendre et de critiquer ce que leur cerveau droit reçoit, car les deux hémisphères communiquent. Si au contraire le cerveau gauche a été « abandonné », ils sont entièrement livrés aux images qui leur sont montrées.
Il se trouve qu’une révolution pédagogique a eu lieu à la fin des années 1970, qui concernait l’ensemble des enseignements de l’école primaire. Si l’on prend le cas précis de la méthode d’apprentissage de la lecture et de l’écriture, on sait que la méthode utilisée aujourd’hui est celle de la méthode globale (la semi-globale revenant exactement au même). La méthode alphabétique fait appel au cerveau gauche puisqu’elle consiste à décortiquer les mots en syllabes et en lettres. La méthode globale, qui consiste à reconnaître la forme des mots, s’appuie au contraire sur l’hémisphère droit puisqu’elle est basée sur l’intuition. 
Les méthodes d’apprentissage actuelles laissent en friche l’hémisphère gauche. Il ne reçoit que peu d’informations et de sollicitations. Le registre lexical est pauvre et, par conséquent, la compréhension du monde, de soi-même et des autres bien moindre. Je prendrai l’exemple concret des Esquimaux : leur langue comporte une soixantaine de mots différents pour évoquer la neige : ils perçoivent, par conséquent, une foule de nuances que nous-mêmes ne voyons pas.
Rappelons que la méhode alphabétique  existe depuis l’invention de l’alphabet, c’est-à-dire depuis environ 2300 ans, dans tous les pays utilisant l’alphabet. Elle a évidemment fait ses preuves ! On a pourtant changé brusquement de méthode, et, depuis, aucune discussion ou débat n’est possible. Gilles de Robien, ministre de l’Education nationale, a eu le courage de dire qu’il fallait revenir à la méthode alphabétique. Les syndicats d’enseignants s’étant opposés à cette demande, elle est restée lettre morte. Et des milliers d’orthophonistes continuent de rééduquer des dizaines de milliers d’enfants qui n’ont aucun problème particulier si ce n’est celui de n’avoir pas appris à déchiffrer les lettres et les syllabes !
Des conséquences sont dores et déjà visibles et ne peuvent que s’aggraver : la place est libre pour l’impulsif, la violence et – j’irai plus loin – la capacité d’être dominé par autrui ou de se donner à lui sans réfléchir. De même, des quantités de choses échapperont à tout jamais à ceux qui n’ont pas accès à la grammaire.
La question des méthodes d’apprentissage va donc bien au-delà de la seule question de la lecture, de l’écriture et du calcul en eux-mêmes? Qu’attendent les candidats à l’élection présidentielle pour se prononcer sur le sujet et annoncer une véritable réhabilitation de l’enseignement primaire ?

Professeur Lucien ISRAËL

Professeur émérite de cancérologie

Président de l’Académie des Sciences morales et politiques pour l’année 2007

Auteur de "Cerveau droit, cerveau gauche, culture et civilisation" PLON 1995 

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