7 minutes pour apprendre à lire : à la recherche du temps perdu

Bruno Suchaut, Directeur  de recherche en Suisse et en France
– Mars 2014

Il existe forcément, dans une classe, des élèves plus lents et des élèves plus avancés que la moyenne.

Non seulement les élèves lents ont besoin de beaucoup plus de temps, mais les lents comme les rapides ont des besoins qui diffèrent de ceux des moyens.

Ainsi, la gestion des différences de niveaux est-elle, pour un enseignant consciencieux, une difficulté majeure, une lutte contre le temps.

Ce rapport propose quelques éléments de réflexion sur une question majeure : l’efficacité du temps scolaire.

Version imprimable du rapport : saisir dans Google « 7 minutes pour apprendre à lire » puis choisir l’article Bruno SUCHAUT.

Survol du rapport

Objet de la recherche : améliorer les conditions dans lesquelles les élèves lents, en retard, en difficulté, pourraient bénéficier de modalités d’apprentissage bien adaptées à leur besoin.

Domaine : conscience phonologique, décodage.

Cadre expérimental : stage d’été de 3 semaines créé pour des élèves sortant de GS avec une insuffisance de conscience phonologique (élèves sélectionnés sur ce seul critère).

39 élèves de 3 écoles, 6 groupes .
Il s’agit des élèves les plus faibles de 3 classes du Nord et du Pas-de-Calais qui probablement sont en ZEP (ce n’est pas dit)

Chaque matin, 2 séances de phonologie de 30 minutes et une séance de code de 40 minutes.
Évaluation hebdomadaire des progrès.
Séances filmées pour 2 groupes, puis analysées dans le détail. Pour ces deux groupes, au total 9h30 et 12h20 d’entraînement phonologique. 
En définitive, seuls 5 élèves présents plus de 80 % du temps ont fait l’objet d’analyses fines.

Les études de ce genre portent toujours sur de petits effectifs. Elles fournissent des hypothèses et non des certitudes. Mieux que des études sur de grands échantillons, elles permettent d’approfondir les observations.

Cadre pédagogique.

Le domaine de la phonologie en Grande Section est défini par 4 objectifs :

– capacité de segmenter un mot en syllabes
– capacité de fusionner 2 syllabes pour former un mot
– capacité de segmenter une syllabe en 2 phonèmes
– capacité de fusionner 2 ou plusieurs phonèmes pour former une syllabe.

Temps d’engagement.

Dans le récent ouvrage québécois sur l’Enseignement explicite est défini le temps effectif d’apprentissage comme le temps où  l’élève est occupé à une activité ni trop facile ni trop difficile pour lui.

Dans la présente étude, c’est le temps d’engagement de l’élève dans une activité effective.

•  En GS, pour la phonologie, l’apprentissage est entièrement oral, c’est le temps d’interaction avec le Maître : le maître a posé une question ou proposé un exercice, et l’élève répond.
•  En CP, c’est le temps où l’élève est personnellement engagé sur le code, ce qui dans la méthode alphabétique, implique des activités d’écriture.
L’élève peut aussi être actif lorsqu’il écoute attentivement le travail du Maître avec d’autres élèves, mais ce degré d’activité est difficile à évaluer.

Temps d’engagement en phonologie.

A – En petits groupes, avec des enseignants spécialement formés, l’expérience a permis d’évaluer ces temps d’engagement pour chacun des 5 élèves avec une assez grande précision.

Ces activités s’enchaînent très rapidement, pouvant aller jusqu’à 5 ou 6 par minute. Cela suppose une excellente préparation par les instituteurs, et peut-être même un entraînement préalable.

B – Chaque activité se conclut par la réussite (bonne réponse) ou l’échec.

On peut pour chaque élève, dans un domaine donné, tracer une courbe d’apprentissage montrant l’évolution du taux de réussite en fonction du cumul des temps d’activité.

Dans l’étude en cause, on constate que, pour atteindre un taux de 90 % de réussite, un élève met 30 minutes environ (soit 150 questions réponses), un autre 1 heure environ (300 questions-réponses), un autre 1h40 (400 à 500 questions-réponses).

On ne peut généraliser ces temps sur un échantillon aussi faible, mais l’idée semble valable.

Dans une autre étude, les auteurs avançaient que, si les élèves moyens ont besoin de 8 heures d’engagement pour maîtriser un domaine, la moyenne des élèves faibles est de 16 heures et celle des forts de 4.

Proportion des temps d’engagement par rapport total du travail du groupe en phonologie (compris entre 9h30 et 12h20)

                          Temps engagé/Temps total

   Elève 1                   1h02 / 12h15
   Elève 2                   1h54 / 12h20
   Elève 3                   2h44 / 15h25
   Elève 4                   2h04 / 9h24
   Elève 5                   0h52 / 7h42
          Temps engagé avec succès/Temps engagé
   Elève 1                   0h42 / 1h02
   Elève 2                   1h02 / 1h54
   Elève 3                   0h54 / 2h44
         

Temps d’engagement en CP sur l’automatisation du code alphabétique.

Les auteurs s’appuient sur une enquête menée en 1996 auprès de 58 classe de CP

Horaire annuel officiel                870 heures

horaire de français         380 heures

dont horaire consacré
        au code                         190 heures

Estimation du temps d’engagement sur le code : les auteurs avancent que les taux d’engagement sur le temps total, de l’ordre de 20 % dans l’expérimentation GS, sont un maximum car les conditions étaient très favorables. Ils avancent qu’en passant à l’effectif d’une classe, les taux d’engagement individuel diminuent fortement. Ils retiennent en définitive un temps d’engagement individuel de 10 % soit 20 heures par an, ou 7 minutes par jour.

Ne disposant pas d’une base expérimentale sur l’automatisation en CP, ils s’en tiennent à affirmer que les 7 minutes par jour ne permettent pas de répondre aux besoins de tous les élèves, et donc des plus lents.

Ils préconisent l’organisation de l’enseignement par groupes de niveaux de 5 élèves dont la composition évolue avec le temps (et bien entendu un enseignement explicite et structuré). 

Annexe

Les auteurs citent d’autres études.

• Une étude américaine a montré qu’à 3 ans, un enfant très défavorisé a entendu 30 millions de mots de moins qu’un enfant de milieu favorisé.

• Les enfants favorisés augmentent leur connaissance de la langue pendant les vacances d’été, un enfant défavorisé régresse.

• Un apprenti ne peut réussir un travail que s’il y consacre effectivement le temps dont il a besoin pour apprendre à effectuer cette tâche.
Étude sur 526 élèves de première année d’école élémentaire aux USA :
8 % seulement travaillaient au rythme qui leur convient.

Observations et questions à propos de ce rapport.

1 – Le livre québécois sur l’enseignement explicite fixe comme objectif qu’une partie significative des élèves les plus lents et les plus défavorisés au départ terminent leurs études parmi les meilleurs. Pour cela, les auteurs préconisent que les activités proposées dans une leçon conviennent à environ 80 % des élèves, que pour les autres le même travail soit repris en petits groupes de façon plus graduelle, et, que, si certains sont encore en difficulté, ils soient repris individuellement.
Or, si est une activité n’est pas trop difficile pour 80 % des élèves, elle est certainement trop facile  pour les plus rapides, qui selon ce schéma, répété à chaque leçon, perdent une partie de leur temps et surtout perdent des occasions de progresser plus vite.

2 – Le rapport sur les « 7 minutes par jour ». retient l’idée d’activités ni trop faciles ni trop difficiles pour l’élève, mais ajoute l’idée que l’efficacité dépend des interactions entre le maître et l’élève (le maître questionne chaque élève, ou bien vérifie tous les exercices écrits).
En fait, même dans l’hypothèse d’une activité collective pas trop difficile pour 80 % des élèves, le maître peut économiser du temps sur les plus avancés. Mais quelle serait l’utilité d’une interaction avec chaque élève lent  lorsque l’activité proposée est trop difficile pour lui ?

Si l’on exclut la solution du soutien en petits groupes en dehors des heures de classe, il ne reste qu’une possibilité : pendant les temps de travail spécifiques avec les groupes lents, confier aux autres des activités individuelles, et peut-être même individualisées.

3 – La difficulté augmente avec le nombre d’élèves par classe, et aussi avec l’hétérogénéité en niveau ; il y a une tendance dogmatique à l’Education Nationale pour le rejet des classes homogènes en niveau, et pour la constitution de classes fortement hétérogènes.
Dans ces conditions, on comprend l’opinion des auteurs de cette recherche qui pensent que dans les classes telles qu’elles sont, il est impossible d’allouer à chaque élève le temps d’enseignement efficace dont il a besoin.

4 – L’évaluation de 7 minutes par jour résulte de l’observation de classes fortement marquées par la débâcle de l’école, par le temps consacré à des activités secondaires par rapport au Lire–écrire–compter, par les exercices collectifs en petits groupes, etc. 

D’autre part, les 7 minutes résultent d’une double estimation :
190 heures consacrées au code 
10 %¨du temps d’engagement sur le temps scolaire

La seconde estimation provient de l’expérience sur les élèves sortant de GS, en activités orales.

Or, en CP, en alphabétique, beaucoup d’activités comportent de l’écrit. Ne peut-on considérer que, lorsque l’élève copie sous la direction du maître, ou fait une dictée, le temps de parole du maître et le temps d’écriture sont des temps d’engagement personnel. Il y a véritablement interaction si le maître vérifie du regard ce que fait chaque élève et s’il vérifie chaque écrit.
De ce fait, les activités élémentaires sont plus longues, et même si elles sont moins nombreuses qu’à l’oral, il est possible que le temps d’engagement total soit supérieur à 10 %

5 – Si les principes d’activités efficaces et d’interactions maîtres – élèves sont bons, il est exclu de les appliquer intégralement dans une classe. L’instituteur peut seulement chercher à optimiser le temps scolaire. On se trouve alors dans le domaine des pratiques.

(Visited 2 times, 1 visits today)

Pour rester informé, je m'abonne à la lettre

Pin It on Pinterest