François-Xavier Bellamy est l’auteur d’un ouvrage intitulé « Les déshérités ou l’urgence de transmettre ». Dans cet ouvrage, il plaide pour un retour à la transmission. « Le désir de transmettre a disparu, mais la soif de recevoir reste intacte » exprimait-il à la Revue des deux mondes. Cet ouvrage comporte deux parties d’importance équivalente. Dans la première, il décrit trois attaques ou séismes contre la transmission. Les trois séismes se réfèrent à Descartes (Le discours de la méthode), Rousseau (Émile) et Bourdieu (La reproduction). La seconde partie s’intitule « Refonder la transmission ». Elle nous est familière, puisque c’est la cause que défend notre association – avec d’autres – depuis 16 ans.

Bellamy

Une histoire des attaques contre la transmission qui commence par Descartes

Descartes, comme on sait, fait table rase de tout ce qu’on lui a appris, savoirs fragiles et souvent contradictoires. Il préconise le « doute hyperbolique » considérant comme a priori faux tout ce dont il est possible de douter. Pour F.-X. Bellamy, c’est une condamnation de la transmission, qui oblige les élèves à assimiler les croyances de leurs maîtres, au détriment de la réflexion autonome. Remarquons que, si Descartes avait limité ses propos aux sciences expérimentales, il eût été dans le vrai parce que d’une part ces sciences, assises sur des faits, sont relativement à l’abri des délires de la raison, et que d’autre part les progrès y sont relatifs, chaque avancée pouvant être corrigée par des expériences ultérieures. Mais Descartes a étendu son jugement à tous les savoirs, et sa Méthode a servi plus tard les encyclopédistes dans leur approche des croyances morales et religieuses.

bellamy au sujet de Descartes

Le second volet du triptyque est occupé par Rousseau.

Lui s’attaque directement à l’éducation et à l’instruction. Il se fonde pour cela sur l’existence – hypothétique – du sauvage vivant à l’état de nature, bon et heureux, alors que nous avons tous été dévoyés par la vie en société et par le progrès des sciences et des arts. Rousseau avance l’idée que l’éducation repose sur des savoirs inutiles ou erronés. Dès lors, le tuteur d’Emile a pour impératif de ne rien imposer à son élève, et de l’amener à n’étudier que ce qui l’intéresse ou peut lui être utile. Pour cela, le tuteur dirige en fait son élève par divers subterfuges ; il transmet toujours quelque chose. Il admet quelques savoirs comme « un mal nécessaire ». Rousseau a ainsi édifié la théorie du constructivisme : le Maître est l’égal de l’élève et il se borne à l’aider (le moins possible) à construire lui-même son savoir.

À vingt ans, Émile sera « un bon sauvage, fait pour habiter les villes », mais certainement pas capable de profiter de sa liberté pour imiter Descartes, qui, lui, était un excellent élève, très instruit, curieux de tout, et capable de s’appuyer sur les savoirs qui lui avaient été transmis pour nier ces mêmes savoirs.

Le troisième séisme, selon Bellamy, est l’entrée en scène de Pierre Bourdieu (1930-2002).

Fils d’un ouvrier agricole devenu facteur, il a poursuivi sa scolarité jusqu’à l’admission à l’Ecole Normale Supérieure. C’est donc un parfait exemple de l’élitisme républicain, comme beaucoup d’autres élèves de la IIIe République. Devenu chercheur et sociologue, il a développé la théorie de la reproduction sociale, basée non sur la fortune, mais sur la culture : les gens instruits et cultivés ont des enfants instruits et cultivés, qui accèdent de plain-pied au niveau supérieur de la société. Ce n’était que partiellement vrai à l’époque ; ce l’est de plus en plus aujourd’hui, grâce justement à notre personnage.

Bourdieu selon Bellamy

Peut-être Bourdieu ne condamne-t-il pas les acquis de l’élitisme républicain, mais sans doute les trouve-t-il trop lents et peu représentatifs.

Comme tout révolutionnaire, il veut tout, tout de suite. Alors que les ouvrages de Descartes et Rousseau étaient manifestement des thèses, utiles pour inviter les lecteurs à la réflexion, Bourdieu s’est frontalement attaqué à l’institution scolaire : les savoirs transmis étaient vus comme largement inutiles, et la culture comme un leurre pour les enfants des catégories sociales modestes. Bourdieu prône un enseignement réduit aux seuls besoins professionnels immédiats, ce qu’on appelle aujourd’hui l’employabilité. Sacrilège pour beaucoup d’enseignants, ce mot est devenu un objectif pour beaucoup de nos politiques préoccupés par le chômage.

Porté par la vague de 1968, Bourdieu est la figure emblématique de tous ceux qui en 40 ans ont détruit notre enseignement primaire et secondaire.

Il a imposé ses idées, dont tout le monde devrait aujourd’hui savoir qu’elles sont expérimentalement fausses : le constructivisme, l’incapacité des enfants pauvres à acquérir des savoirs, l’abaissement des enseignants, la négation de leur rôle, l’exclusion des parents de tout ce qui touche à l’instruction de leurs enfants.
Tout cela avec l’aide d’un bloc d’idéologues bien à l’abri dans la forteresse Education nationale, avec la collaboration inconsciente de politiques laxistes et superficiels, toujours friands de nouveauté.

De la nécessité de la transmission, selon François-Xavier Bellamy

Transmettre les savoirs, certes, les savoirs fondamentaux et tous les autres selon les besoins et les intérêts des élèves, pour façonner des personnalités originales. Plus que sur les savoirs, F.X. Bellamy insiste sur la transmission de la culture, certes générale avec ses multiples facettes, mais française, notre patrimoine commun. L’auteur critique la notion de « culture humaniste » définie dans les textes régissant l’Education nationale, qui d’emblée imposent aux élèves des thèmes apparemment très généraux, mais aussi trop abstraits pour les jeunes.

F.X. Bellamy affirme que le fondement de la transmission doit être la culture française, dont la marque se retrouve partout en France, même pour ceux dont l’histoire familiale trouve ses origines ailleurs. La culture française est largement « humaniste » et il est facile, sur cette base solide, d’aborder les valeurs universelles et les cultures des autres régions du monde. L’auteur note que beaucoup de parents, endoctrinés par les principes progressistes, ont renoncé à transmettre leur savoir pour laisser à leurs enfants une liberté illusoire. Car, privés de savoirs et de culture par la démission de l’école et par la démission de leurs parents, les enfants risquent de devenir des êtres indéterminés, uniquement sensibles aux influences immédiates, c’est-à-dire des sauvages rêvés par Rousseau. Mais les nôtres ne sont pas tous bons et heureux.

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