La machine à lire de Monsieur Bentolila

                                  ou le robot prof

Nous avons, sur ce site, évoqué à plusieurs reprises la place du "numérique" dans l’enseignement, et notamment la disposition de la Loi Peillon créant un "Service public du numérique éducatif" (sic), service assuré par la DNE (Direction du Numérique Educatif)

Nous avons préconisé une extrême prudence dans l’expérimentation de nouvelles applications numériques, qui devraient nécessairement être centrées sur un  aspect majeur de la relation entre l’enseignant et chaque élève, dans une discipline : de telles applications ne peuvent être conçues qu’avec des enseignants expérimentés.
Le principe de précaution exige aussi que l’on ne commence pas par la maternelle et l’élémentaire, avant d’avoir tiré, sur plusieurs années, les enseignements sur les applications numériques au collège.

Suivant sa pente descendante, l’Education Nationale a donc décidé de diffuser partout des tablettes entre 2016 et 2018, sans aucune réflexion approfondie préalable.
C’est ainsi que notre ministre a récemment manifesté son intérêt pour une "machine à lire" conçue par Alain Bentolila, linguiste et auteur de manuels de CP à départ global, comme Gafi le fantôme, récemment remplacé par un Super Gafi.

Cette machine à lire sera bientôt diffusée. Elle est encore expérimentée dans des classes du réseau  "plus de maîtres que de classes", donc dans des secteurs difficiles.
L’idée est simple : sur une tablette, alternent des phases de lecture et des phases d’écoute. Du CM1 à la 5ème, les textes sont des récits d’action tirés de la "littérature de jeunesse" et d’œuvres classiques, naturellement remaniées.
Ce procédé serait pleinement justifié car "les recherches expérimentales les plus récentes montrent clairement que ce qui handicape véritablement les lecteurs peu aguerris, c’est bien l’incapacité et la crainte d’affronter une distance de lecture dépassant quatre à cinq pages".
En clair, on vient de découvrir que les mauvais lecteurs (du CM1 à la 5ème) fatiguent au bout de quelques pages. Et donc les phases d’écoute leur offrent des moments de repos. Cependant, les phases d’écoute sont progressivement réduites au profit des phases de lecture.
L’usage de la tablette est individuel, mais un enseignant  s’assure que les textes ont bien été compris par des "restitutions collectives".
Et c’est la réussite : "Après un certain temps, 25 à 30 % des élèves sont allés chercher le texte original".
Ainsi, tout est en ordre, car, comme le dit Alain Bentolila "Nous prenons les enfants comme ils sont aujourd’hui, c’est-à-dire familiers des séries télévisées où l’action est prépondérante". 
Au stade suivant, on leur fera étudier Victor Hugo et sa "Notre-Dame de Paris" en BD numérique.

En attendant la parution d’une étude correctement documentée, indiquant la répartition statistique de l’allongement des périodes de lecture (à 10, 20, 30 pages et plus), et repérant la compréhension des textes par des tests individuels, nous pouvons former les hypothèses suivantes.
A notre avis, ces élèves peu aguerris sont principalement des victimes du départ global, majoritaires  dans les zones en difficulté. Que 25 ou 30 % des élèves sachent lire – au moins approximativement – n’a rien d’étonnant. Si les textes sont bien choisis, ces élèves ne sont pas fatigués après 4 ou 5 pages, mais veulent aller plus vite. Car on imagine ce que peuvent être les "restitutions" collectives et le temps perdu en discussions inutiles.

Citations. A propos des séquences parlées, une enseignante parle de "ludiques", et "de repos". Une petite fille : "les mots sont trop difficiles à lire".
Cette machine est une tentative pour embarquer les enseignants dans ce que les nouveaux pédagogues appellent la "pédagogie du détour", afin de ne pea affronter les difficultés et de laisser croire qu’il est possible d’apprendre sans effort.

Conclusion sacrilège : "Mieux vaut ce qui marche que ce qui est nouveau"  National Right to Read Foundation

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